André Malraux et la Francophonie

35ème anniversaire de la disparition d’André Malraux SEEZ 14 novembre 2011

Au risque de vous paraître plus vieux que mon âge, j’ai eu l’immense honneur et privilège de connaître et de rencontrer André Malraux.

J’avais 15 ans, ivre de la « Condition Humaine » lue et relue, je pensais que cet homme était inaccessible…

L’idée me vint de lui écrire, en 1965, pour lui dire mon admiration, ma fascination, un peu comme un adolescent admiratif d’un chanteur ou d’un footballeur !
Et, contre toute attente, Malraux me répondit personnellement.

Pas une lettre type, mais une vraie lettre manuscrite, quasi indéchiffrable.
Il s’établit alors une correspondance improbable entre le vermisseau que j’étais et l’astre qu’il représentait pour moi.
Nous nous rencontrâmes peu après lors du Congrès d’un mouvement politique de jeunes, l’UJP, auquel j’avais adhéré au grand dam de ma famille.
Un jour le félicitant pour l’une de ses nombreuses actions en faveur des arts et de notre patrimoine, il m’écrivit :
« Il se peut qu’une des plus grandes fonctions de l’art soit de faire prendre conscience aux Hommes de la grandeur qu’il ignorent en eux ! ».
Dans cette phrase est résumé le secret de la relation de Gaulle-Malraux, sur laquelle nous reviendrons un peu plus loin : « La seule cause qui vaille est celle de l’Homme » !
Nous n’avons cessé d’échanger que peu de temps avant sa disparition, à un moment ou physiquement il n’avait plus la force ni de s’exprimer, ni d’écrire.

Je me souviendrai toujours d’une de ses dernières saillies intellectuelle et humoristique, fin 1974 ou début 75 si ma mémoire est bonne.
Lors d’une réception, le Président Giscard d’Estaing, à qui Malraux reprochait d’avoir trahi son ami de Gaulle, lui tendit la main. Après une brève hésitation il serra cette main tendue, puis se retourna vers nous et dit en haussant les épaules : « Uniquement par courtoisie »…un court silence, et d’ajouter « Vous savez, la courtoise, la politesse de l’indifférence ».

Quelle lourde responsabilité, Mesdames et Messieurs, Chers Amis, que celle d’avoir à parler d’André Malraux !
Il est des prises de parole, des interventions que l’on redoute indiscutablement plus que d’autres. Surtout lorsqu’elles ont pour sujet central des figures de proue qui ont marqué leur temps, notre culture, notre histoire !

La peur de verser dans le registre dithyrambique, la crainte des raccourcis et des catégorisations qu’impose le genre oratoire lui-même, avec ses impératifs de concision, de maîtrise du temps, m’animent autant que l’intensité émotive et l’espoir du message porté par André Malraux… Celui que je voudrais vous délivrer ce soir.

Malraux disait que le courage était une question d’organisation…
Alors essayons, ensemble, d’organiser cette intervention autour de quelques thèmes de réflexion :

• A l’origine de la Francophonie, la culture
• Les prémices du gaullisme
• Internationalisme, universalisme, syncrétisme culturel
• Malraux préfigure-t-il le multiculturalisme ?

Mesdames et Messieurs, Chers Amis, André Malraux abhorrait les pensées hâtives, les stéréotypes et toutes formes de déterminisme.
Personnalité complexe et atypique, cultivant un sens aigu du paradoxe, esprit prolixe mû par la quête de vérité, véritable « électron libre » au service d’un idéal de liberté défiant les conformismes, il avait de son vivant, pourfendu le genre biographique, considérant qu’il était « illusion narrative », puisque écrivait-il « chacun articule son passé pour un interlocuteur insaisissable ».

Malraux ! C’est aussi et d’abord la pluralité.

Des Malraux, si je puis m’exprimer ainsi, j’en distingue quatre, au bas mot. L’écrivain, l’intellectuel, l’homme politique, le passionné d’art…pour laisser de côté l’amoureux et le fou d’aventures à leurs secrets !

Une telle démultiplication de postures, propices à la mythification, éclipse souvent la singularité du personnage, ce pourquoi Malraux est Malraux, en tant que tel, pour ce qu’il est en tant qu’humain, la condition humaine.

Tant de considérations et de réflexions ont été produites et écrites sur André Malraux !
Si nous sommes réunis aujourd’hui, c’est que la curiosité, le questionnement et le débat qu’il continue de susciter sont loin d’être clos.

Ma contribution sera modeste.
Je m’efforcerai, au regard des expériences et des moments forts qui ont jalonné sa vie, de jeter un regard sur son parcours intellectuel et son engagement politique pour en restituer l’idéal de liberté, d’émancipation et de résistance qui en font le socle.

Un triptyque de convictions et de valeurs qui ne sont autres que celles que défend l’Alliance francophone, que j’ai l’honneur de présider, depuis sa création, voici une vingtaine d’années.

André Malraux n’a pas forgé le concept de Francophonie, il n’en est pas l’inventeur, mais sans conteste il est l’un de ceux qui contribuèrent le plus à en dessiner les contours, à l’incarner.

Le discours poignant, un chef d’œuvre, qu’il prononce en qualité de ministre des Affaires culturelles du Général de Gaulle à Niamey le 17 février 1960 à l’occasion de la « conférence des pays entièrement ou partiellement de langue française », demeure ainsi un acte-phare de l’institutionnalisation de la Francophonie, voire même un de ses actes fondateurs.

Cela étant dit, la vocation francophone d’André Malraux, son rôle d’animateur de premier plan de la francophonie institutionnelle ne nous exonère pas de cette question majeure : en quoi André Malraux intéresse-t-il la Francophonie, lui qui fut de tous les combats et de toutes les causes justes ?

La Francophonie était-elle pour lui l’aboutissement logique d’une destinée entièrement dévolue à l’engagement ?

Tenait-elle lieu de synthèse idéologique d’une somme d’expériences annonçant le déclin des grands dogmatismes, dont la chute du mur de Berlin a semblé venir sonner le glas une trentaine d’années plus tard ?

Qu’est-ce qui dans la trajectoire d’André Malraux a présidé à sa rencontre avec la Francophonie ?

A l’origine de la Francophonie, la culture

La culture tient lieu d’outil central dans le dispositif dialectique d’André Malraux.
Essence de l’homme en perpétuelle métamorphose, elle aurait amorcé son essor à partir de « la Renaissance, qui aurait tout changé » selon lui.

« Le mot culture prit alors le sens que nous lui donnons », théorise-t-il dans son discours de Niamey.

Il n’est pas étrange qu’elle l’ait conduit à devenir l’incarnation du ministère des Affaires culturelles, que lui avait confié le Général de Gaulle qu’il l’avait créé et dont il lui avait confié les rênes.

Loin d’être un essentialiste tenant d’une vision déterministe de l’histoire, André Malraux définit la culture comme un mode de médiation politique ou comme un projet de civilisation, à bâtir, en devenir.

Il affirme : « la culture ne s’hérite pas, elle se conquiert. Ce qui doit nous unir, c’est l’objet de cette conquête ».

La culture incarne, chez Malraux, un art de vivre, et l’art le fondement même de sa conception de la culture. Dans son expérience privée, publique comme politique, la relation à l’art exprime une passion qu’il érige en fonction quasiment en mystique.

Vecteur d’émancipation et de libération, qui le dissocie tantôt de l’emprise du groupe englobant et le relie tantôt à l’altérité, la culture est à ses yeux un « anti-destin ».

C’est cette acception de la culture qui orienta ses options politiques tout au long de son expérience ministérielle, entre 1959 et 1969.

La valorisation de notre patrimoine fut son objectif primordial. D’abord Paris et ses monuments retrouvèrent leur éclat, puis ce fut le tour des grands monuments nationaux à Reims, à Versailles, au Louvre, à Vincennes, à Fontainebleau et j’en passe…
Puis il y eut les créations du service des fouilles archéologiques, l’institution des secteurs sauvegardés, l’inventaire des richesses artistiques…

Puis Malraux ouvrit les frontières à notre patrimoine national envoyant La Joconde à New York, la Venus de Milo à Tokyo…et aux autres patrimoines en faisant venir à Paris Toutankhamon, le Siècle d’Or espagnol, les trésors de l’Iran.

Partie intégrante de l’art, auquel elle répond en écho, la culture se présente comme une réponse à la mort, un élément du vivre ensemble, un dépassement des différences.
Elle acquiert une vocation éminemment citoyenne.
Elle est au fond un élément constitutif de notre pacte républicain.

Par ce procédé de reconstruction théorique, André Malraux investit la culture d’une mission de mobilisation des valeurs de la France des Lumières.
La culture n’existe plus alors en tant que telle.
Elle devient un projet rassembleur fondé sur les idéaux de 1789… Une culture française.

D’aucuns seraient tentés de présenter André Malraux, au regard notamment de sa fonction de ministre, plus gaullien que gaulliste, des Affaires culturelles, de héraut de la culture, au service d’une entreprise de « nationalisation » par l’Etat.
Cette idée est infondée, en cela que Malraux dissocie le nationalisme de la nation qu’il appréhende comme un creuset d’émancipation des peuples et des individus.
Pour lui, la culture est « française » non parce qu’elle est nationale mais parce qu’elle est une perspective spatio-temporelle de dépassement de celle-ci.

Ainsi écrit-t-il dans son discours de Niamey : « Nous voulons que la culture française retrouve, en nous tous, ce qui fit sa grandeur passée, la confiance en tous les hommes qu’elle a marqués par sa longue traînée d’espoir révolutionnaire, de tombeaux et de cathédrales ».
La culture n’est pour lui qu’un tremplin vers un horizon culturel plus vaste et illimité.
Il lève toute ambiguïté, en indiquant, dans le même discours : « Avant d’atteindre la culture mondiale – ce qui veut dire aujourd’hui, pour opposer aux puissances obscures les puissances d’immortalité – chaque homme se fonde sur une culture, et c’est la sienne. Mais pas la seule ».
Ainsi préfère-t-il parler ailleurs non de culture française mais de « culture francophone », érigeant alors la langue en vecteur quasi suprême de cette culture.
La culture acquiert valeur de synonyme de la langue lorsqu’elle ne s’efface pas au profit de la primauté de cette dernière.
Du Verbe à l’action, les prémices du gaullisme

L’amour de la langue, la passion du verbe et son penchant pour la parole aiguisèrent chez Malraux le sens de l’engagement qui le conduisit sur les traces du Général de Gaulle.
Rien pourtant ne prédestinait André Malraux à rencontrer le Général de Gaulle qui se passionne tôt pour les armes et la guerre alors que Malraux, son cadet de 10 ans, porté par les courants littéraires de son temps, se fait délibérément réformer pour ne pas effectuer son service militaire avec comme seul dessein : devenir un grand écrivain.

Tandis que Malraux se prend de passion pour la révolution bolchevique de 1917 et ses saillies internationalistes, le Général de Gaulle observe l’histoire froidement, cherchant, au sortir du grand tournant historique de 1918, un modèle propre, à même de prémunir contre les velléités revanchardes de l’Allemagne défaite, contre l’effervescence révolutionnaire en Europe, les nationalismes danubiens et balkaniques, l’arbitraire du partage des Empires coloniaux.

L’histoire et la littérature finissant par emprunter des chemins de convergence à la faveur d’un contexte préfigurant une crise économique et sociale, un bellicisme et un déchaînement de violence sans pareil.

Les destins des deux hommes cheminent peu à peu vers des préoccupations communes et un questionnement commun, une confluence philosophique.

Par-delà leurs différences, grandes, de Gaulle et Malraux s’émeuvent de la même manière du Déclin de l’Occident annoncé par Oswald Spengler et incarné par le contexte de l’entre-deux Guerres.
Dans son livre La Discorde chez l’ennemi, le premier fait état de ses appréhensions quant aux prétentions allemandes, dont la défaite fait craindre la plus préjudiciable des revanches et par-là même des régressions civilisationnelles au sein de l’Europe.

Le second, pour sa part, André Malraux, affirme avec l’éloquence qui le caractérise : « Il y a l’illusion perdue d’une culture européenne et la démonstration de l’impuissance de la connaissance à sauver quoique ce soit ; il y a l’idéalisme difficilement vainqueur, profondément meurtri, responsable de ses rêves ».

Ce sont les impressions que l’écrivain livrera quelques années plus tard, de retour d’Asie, dans La Tentation de l’Occident.

L’émotion partagée finit peu à peu par épouser les contours d’une réelle affinité politique.
La montée du nazisme et l’instauration en Espagne d’un régime fasciste soutenu conjointement par Hitler et Mussolini, à compter de 1936, hâteront le rapprochement entre les deux hommes.
L’antifascisme de Malraux prend la forme d’un ralliement au mouvement communiste international et d’un soutien sans équivoque à l’interventionnisme soviétique contre l’Allemagne nazie.
Président de l’Association des écrivains et artistes révolutionnaires aux côtés d’André Gide, il déclare lors d’une réunion organisée au siège du Grand Orient : « Depuis dix ans, le fascisme étend sur l’Europe ses grandes ailes noires... Bientôt ce sera l’action, sang contre sang... Le fascisme allemand nous montre que nous sommes face à la guerre. Nous devons faire notre possible pour qu’elle n’ait pas lieu : mais nous avons affaire à des sourds, nous savons qu’ils ne nous entendent pas ! A la menace, répondons par la menace, et sachons nous tourner vers Moscou, vers l’Armée rouge ! »

L’homme de lettres se métamorphose en homme d’action.
Sa lucidité révèle en lui un instinct de résistance, qui dédramatise et démystifie la posture belliciste qu’il récusait plus jeune.
La nécessité fait loi !
Lorsqu’éclate la seconde guerre mondiale, Malraux est du côté des armes, de ceux qui sont déterminés à en découdre avec la pègre nazie. Il est admis dès novembre 1939, dans une unité de chars de combat basée à Provins où il restera jusqu’au 14 mai 1940, avant de rallier les réseaux de la Résistance, sous la houlette de Harry Peulevé, chef du réseau britannique AUTHOR du Special Operations Executive (SOE).

André Malraux ne retrouve pas seulement de Gaulle dans ces orientations-là. Il le retrouve dans une lecture analogue de l’histoire, dans un semblable désir d’en être l’acteur, dans une pareille volonté de passage à l’acte, sacrifiant son essence première - le verbe - à l’action.

Quand Malraux fait sienne la phraséologie de l’action, on ne peut ne pas penser à la citation de Faust que de Gaulle a placée en exergue du premier chapitre du Fil de l’épée : « Au commencement était le Verbe ? Non ! Au commencement était l’Action ».

Cette noblesse de l’action, Malraux y reviendra dans sa dernière intervention sur le parvis de Chartres, le 10 mai 1975, lors du l’anniversaire 30ème anniversaire de la capitulation allemande.
Rendant hommage aux femmes déportées et s’adressant à une des survivantes il déclara : "Saint François disait à la mendiante d’Assise : Sur ton pauvre visage, que ne puis-je embrasser toute la pauvreté du monde. Sur le tien, moi la France, j’embrasse toutes tes sœurs d’extermination. Avec quoi ferait-on la noblesse d’un peuple, sinon avec celles qui la lui ont donnée ? "

Internationalisme, universalisme, syncrétisme culturel

Il est, chez Malraux, une posture qu’il ne trahit jamais : l’universalisme.
Un peu comme si le verbe et l’action, le caractérisant, étaient incompatibles avec toute limitation spatiale.
Réfutant toute idée d’enfermement, Malraux aime à se penser lier à des univers, des horizons, des mondes dissemblables, différents…
Il se plait à revendiquer de multiples appartenances et allégeances culturelles.
Pas un texte, pas une contribution, pas une intervention qui ne porte cette pluralité identitaire.
L’internationalisme communiste, dans lequel il a versé toute une partie de sa vie, a-t-il présidé à son universalisme ? On peut légitimement se poser la question !
Il y a dans le messianisme communiste un idéal de retour à un « paradis perdu », dénué de propriété, sans frontières, en lequel André Malraux a indéniablement puisé matière et inspiration.
Sans doute, mais pas seulement, l’homme de lettres, l’aventurier, est également marqué par son séjour en Asie et son intérêt non dissimulé pour l’Afrique.

Malraux et l’Afrique…
Hôte de marque du premier « Festival mondial des arts nègres » de Dakar en 1966, Malraux a joué un rôle éminemment avant-gardiste dans la réhabilitation et la valorisation du patrimoine culturel africain.

Cette implication personnelle coïncide avec le mouvement de la décolonisation, initié par le Général de Gaulle.
Et on le voit, là encore, Malraux et de Gaulle s’auto-fascinaient !

En Afrique, le ministre gaullien des Affaires culturelles a prononcé des discours mémorables qui traduisent tous un engagement au service d’une politique (discours prononcés à l’occasion des indépendances des Etats de l’AEF) et d’une vision culturelle (discours de Dakar)…ne retenons que celui-ci !

Dans son discours de Niamey il entrouvre l’hypothèse d’une « culture mondiale » et d’une « civilisation universelle » comme horizon des possibles, il propose à l’Afrique de préparer ce grand rendez-vous avec l’Histoire en intégrant la voie inexorable de l’universalité : « Ici, affirme-t-il, se présente l’une des plus saisissantes aventures de l’esprit que notre siècle ait connues, celle de l’entrée des cultures africaines dans la civilisation universelle. Avec sa culture, sa danse et sa musique, l’Afrique a pris conscience de ses propres valeurs ».
Et de conclure : « l’Afrique est assez forte pour créer son domaine culturel, celui du présent et du passé, à condition qu’elle l’ose… »

Loin de revêtir le visage d’un unitarisme culturel, ou d’un quelconque jacobinisme planétaire, loin de s’apparenter à une « fin de l’histoire », l’universalisme de Malraux est un avant tout un moyen, un mode de jonction, une mise en relation, une médiation entre les hommes, les peuples et les cultures.
Malraux parie sur l’avenir, prophétise, et imagine le destin de l’Afrique comme étant étroitement lié à celui de la France. « Il se trouve que les valeurs fondamentalement proclamées comme celles de la négritude sont exprimées principalement par des africains de culture française », affirme-t-il à Niamey.
Et d’ajouter : « Nous assistons à une symbiose afro-latine ».
Tout comme la France, héritière de la Gaule, a bénéficié de l’universalisme gréco-romain qui l’a révélée à elle-même et révélée aux autres, l’Afrique est, à son tour, vouée à un tel cheminement historique.
En épousant la culture française, elle-même descendante de la culture latine, l’Afrique pourra un jour révéler sa culture aux autres et devenir, à son tour, un vecteur de transmission et un modèle pour les autres.

C’est aussi une vision de l’Alliance Francophone qui, bien consciente des frilosités du temps à l’égard de l’Afrique et de ce grand dessein formulé par Malraux, a proposé l’instauration d’un « visa francophone » dont la double finalité serait à la fois d’ouvrir l’espace francophone aux créateurs africains et de donner aux francophones le sentiment d’une solidarité et de l’appartenance à une réelle communauté !

Car s’il est vrai que nous avons en commun cette belle langue qui est la nôtre, selon la jolie formule consacrée, il s’avère que les disparités économiques entre peuples francophones n’honorent pas notre sens de la solidarité !

POUR CONCLURE
Malraux préfigure-t-il le multiculturalisme ?

Auteur et acteur de son temps, visionnaire, il a su appréhender l’histoire dont il a été témoin au quotidien, comme il a su en anticiper les évolutions.

Son regard critique et ses analyses acérées sur la culture annoncent, avant l’heure, les problématiques ayant trait aux identités et à leurs recompositions à l’heure de la mondialisation.

Malraux a vu dans l’irruption de la technologie, l’amorce d’une « révolution planétaire » des comportements, des us et coutumes de l’humanité, prédisant l’avènement du monde « interconnecté », de la cyber-planète, d’Internet et de ses « révolutions numériques ». Des termes qui échappaient à la compréhension du français moyen dans les années 60.
« Les disques, les photos d’œuvre d’art, le cinéma, la télévision apportent la présence concrète de la première culture mondiale », prophétise-t-il. Mais, il nuance : « L’humanité prend à la fois conscience des invincibles frontières qui la morcelaient, de l’impossible dialogue ».

L’œuvre de Malraux esquisse les contours d’un monde à la croisée des chemins, un monde en contradiction, un monde paradoxal, écartelé entre la tentation d’un « retour aux sources » et celle d’une « quête d’un ailleurs », un monde tiraillé entre particularismes et aspirations universalistes.
Ce monde dépeint entre les années 1930-1960 est le nôtre.

Loin de se limiter à un questionnement d’ordre mondial, l’approche d’André Malraux concerne aussi le niveau de l’Etat Nation et donc le comportement d’un peuple face à l’univers, face à son destin.

Elle met en exergue la problématique de la coexistence des cultures et des identités à l’heure de l’ouverture des frontières, du rétrécissement des distances, de l’accélération et de l’intensification des phénomènes migratoires et de la floraison de communautarismes en tout genre.

Républicain attaché aux idéaux des Lumières, Malraux aurait, sans doute, proposé à notre société, dont les replis communautaires n’ont de cesse de saper la cohésion, un remède : celui de la culture, de la langue française et, finalement, celui de la francophonie.

La langue comme mode d’expression par excellence, la langue lieu de convergence,
la langue fédératrice, une langue d’amour qui ne renonce pas à l’idéal d’ouverture, à l’altérité, à la pluralité, aux autres cultures !

Et, enfin, puisque l’avenir est un présent du passé, sachons nous inspirer de Malraux en le lisant, en l’analysant, mais sans le juger car, disait-il, « juger c’est de toute évidence ne pas comprendre, puisque, si l’on comprenait, on ne pourrait pas juger ».

Je vous remercie pour votre attention.

Jean R. Guion