REIMS : devant les " Lions francophones "

Mesdames et messieurs,
Chers amis « Lions francophones »,

Je suis très heureux et très honoré d’être parmi vous ce jour.
Merci pour l’accueil fraternel que vous me réservez à l’occasion de ces journées dédiées à un idéal et un projet qui nous animent tous : la francophonie.
Je me réjouis d’autant plus d’avoir la possibilité d’utiliser cette prestigieuse tribune de Reims, ville emblématique de notre histoire, qui regorge de sites classés au Patrimoine mondial de l’Unesco, ville pétillante à plus d’un titre, mais aussi capitale de ma région de naissance, je suis en effet ardennais et j’ai effectué une partie de mes études ici ! Une métropole dynamique dont le rayonnement culturel et la renommée planétaire de ses champagnes ne sont plus à présenter !

Chers amis, vous le constatez chaque jour, le monde est en effervescence, plus que jamais imprévisible et désarçonnant : accroissement des inégalités sociales, retour des conflits, multiplication des guerres civiles et ethniques en Afrique et dans le monde arabe, menace d’une explosion bancaire en Chine où l’artificielle croissance ne peut masquer les libertés étouffées, poussées populistes et nationalistes en Europe sur fond de banqueroutes économiques « nationales », cataclysmes naturels en Asie d’une violence apocalyptique sans précédent, menace nucléaire….

Et qu’adviendra-t-il quand la croissance diminuera avec ses risques considérables de remise en cause de la solidarité ?
J’arrête là pour ne pas gâcher votre journée !
Pris en tenailles entre l’absurdité humaine et les affres de la menace environnementale, ce monde inspire la peur.
La prophétie du « nouvel ordre mondial » de George Bush père, fondée sur l’avènement de la démocratie et d’un libéralisme économique émancipateur, ne s’est pas produite…
La chute du mur de Berlin et les espoirs de paix qu’elle a suscités n’ont pas eu les répercussions planétaires escomptées. Pis encore, d’autres forteresses se sont érigées, s’imposant en obstacle à toute dynamique libératrice !
Et les « printemps d’Afrique du Nord », me diriez-vous ? Et la « révolution du jasmin » ? Et la thawra des Cairotes ? Et la prise d’armes libyenne contre Kadhafi ?
Tous ces mouvements, peut être hâtivement baptisés « révolutions », ne prendront de sens et d’intérêts que s’ils accouchent de réels systèmes démocratiques.
Ne nous faisons pas trop d’illusions, de peur de voir tués nos espoirs.
En effet les handicaps permanents que sont les misères économiques, culturelles et éducatives, ceux sur lesquels les plus sinistres dogmatismes n’ont cessé de proliférer, sont nombreux et rendront bien difficile, sans solidarités, la construction à court terme de véritables démocraties !

Les grandes douleurs sont muettes, les petites colères sont, en revanche, sources incomparables de solidarité.

La Francophonie, que nous incarnons, se réjouit chaque fois que des femmes et des hommes se mobilisent pour leur liberté (souveraineté c’est plutot pour un Etat je pense) , à chaque fois qu’un peuple conquiert une parcelle de liberté et qu’un Etat devient souverain.
Pour nous il n’existe d’ailleurs pas d’autres voies vers la solidarité humaine que celle de la recherche et du respect de la dignité individuelle.
Nous avons été, nous sommes et serons toujours du côté des artisans de la liberté, où qu’ils soient… En la matière, il n’y a pas de sensibilité francophone qui prime.
Seul compte l’humain.
Gageons cependant que le vent de liberté qui souffle en Afrique du Nord et dans le monde arabe augure une véritable rupture avec le passé et les pratiques autocratiques des régimes hier en place.
Espérons surtout que la soif de démocratie et de droits de l’homme, exprimée massivement par la rue, ne soit entachée d’aucune forme de machiavélisme, d’aucun dévoiement politique ou religieux ! Rien n’est aujourd’hui moins sûr !
Espérons aussi que la démocratie et la paix puisse rapidement revivre, refleurir en Côte d’Ivoire.
On a constaté, à cette occasion, combien le scrutin présidentiel de novembre 2010 a été âprement disputé dans ce pays ! Là bas, on le voit, l’alternance politique n’est pas allée de soi !

« Nous autres, vieilles démocraties », avons connu, naguère, d’âpres et interminables conflits civils avant que cette idée n’entre dans les us et coutumes.
La Côte d’Ivoire devait-elle tomber dans ce mimétisme historique ?
Fallait-il tant de sang ? Fallait-il tant d’exactions et de pertes en vies humaines pour que le camp perdant abdique et reconnaisse le camp gagnant ?
Au nom de l’Alliance francophone je voudrais, ici, témoigner de mon amitié et de mon soutien à toutes les femmes et les hommes qui œuvrent pour la démocratie, en Afrique, du Nord, de l’Ouest ou d’ailleurs.

Car sans bonne démocratie, il ne peut y avoir de légitimité des décisions.

Mesdames et messieurs, la solidarité est une valeur phare de la francophonie.

Et ce, dans son acception la plus large.

Au-delà, de la défense et de la promotion de la culture française et des idéaux dont elle est le vecteur, cette « communauté de destin », que nous représentons, est née de l’impérieuse nécessité d’un engagement des Etats francophones en faveur de la démocratie, des droits de l’homme et de la médiation pour la prévention et la résolution des conflits.
Je me permets de vous rappeler que l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) a inscrit, dès septembre 2000, les objectifs du millénaire pour le développement, adoptés par l’assemblée générale des Nations unies. Ceux-ci visent, d’ici 2015, à réduire l’extrême pauvreté et la faim, assurer l’éducation primaire pour tous, promouvoir l’égalité et l’autonomisation des femmes, réduire la mortalité infantile, améliorer la santé maternelle, combattre le VIH/SIDA…

Suffit-il d’inscrire de telles orientations dans son agenda pour remédier à la situation ? Assurément, non !

D’abord parce que le programme est en lui-même ambitieux.
Ensuite parce qu’il dépasse les prérogatives de la francophonie, laquelle, dans tous les cas, ne peut agir sans le concours de l’ensemble des acteurs gouvernementaux et non-gouvernementaux de la planète.
A cinq ans de l’échéance fixée par les Nations unies, force est de constater que, eu égard aux efforts déployés et des progrès enregistrés ici et là que, les objectifs sont loin d’être atteints. Sur le plan mondial, bien que le nombre de personnes vivant avec moins de 1,25 US $ par jour dans les pays en voie de développement est passé de 1,8 milliards en 1990 à 1,4 milliards en 2005, il n’en demeure pas moins qu’un problème endémique subsiste dont les données chiffrées risquent d’être revues à la hausse compte tenu des effets collatéraux de la crise économique qui ne cessent de se manifester depuis le crash boursier de 2008-2009.

Les causes et les manifestations de l’extrême pauvreté sont loin d’être éradiquées.
Nul ne le contestera.

De véritables famines sévissent notamment en Afrique.
Pour de nombre habitants des zones les plus exposées au désœuvrement, aux guerres, aux cataclysmes naturels et autres périls en tout genre, le salut réside dans l’émigration.
Et même chez nous, en Occident, la paupérisation avance, gagne du terrain, érode les classes moyennes.
Ces fléaux, ces maux nous interpellent.

La laborieuse reprise de l’économie planétaire, le spectre de la guerre civile en Afrique et dans le monde arabe, les cataclysmes naturels en Asie et ailleurs risquent d’être des freins à tout avancée.
Trop souvent la jolie formule, « Cette langue que nous avons en partage », sonne creux dès lors qu’il s’agit de mettre en actes les valeurs qu’elle sous tend : liberté, justice et démocratie, et surtout de les partager !

Nous nous félicitions donc chaque fois que la francophonie concrétise un projet ou une initiative visant à aider un pays en difficulté à venir à bout d’une situation de crise ou à mettre en œuvre un objectif de développement.

Œuvrant pour la diversité culturelle et une vision pacifiée et pacifique des relations internationales, la francophonie peut apporter une valeur ajoutée, à la mesure de sa mission et de ses moyens, en permettant notamment à l’ensemble des femmes et aux hommes, à tous les peuples de l’espace francophone de bénéficier de ressources techniques et humaines supplémentaires.

Nous sommes convaincus qu’elle est en mesure de le faire.

La francophonie que nous défendons participe d’un idéal : celui de ne laisser de côté aucun protagoniste francophone, celui de ne marginaliser personne et, si besoin, d’ouvrir la porte y compris à ceux qui ne le sont pas ou sont rétifs à le devenir.
La francophonie ne peut incarner le futur que si elle tend la main à tous, que si elle tient lieu d’espace de convivialité et de repère d’identification pour tous.

En tant qu’héritiers des Lumières et de 1789, nous nous devons d’incarner, au mieux, les idéaux de justice, de liberté et d’équité que l’humanité entière nous tient pour dépositaires.
C’est notre vocation francophone première.
Et elle ne devrait souffrir d’aucune ambiguïté. Je dis bien aucune.

Nous n’avons pas le droit de revendiquer la paternité des « droits de l’homme » d’un côté et feindre de voir et de dénoncer les situations où les atteintes à celles-ci sont criantes.
C’est humainement criminel et éthiquement insupportable !

Il faut agir.
Il faut passer à l’acte. Pour ce faire, il faut des idées.
Il faut naturellement des moyens. Cela va sans dire. Mais pas seulement. Il faut, avant toute chose, de l’audace et du cran. Sans réel volontarisme politique affirmé, toute tergiversation, toute diplomatie, est vouée à rester lettre morte. Combien de sommets ?
Combien de forums ? Combien de grands-messes de décideurs dédiés à tel ou tel conflit, à telle ou telle problématique internationale ? Pas un jour ne passe sans que les grands de ce monde se retrouvent en haut lieu.
Mais pour quels résultats probants ?
Pour quelles véritables concrétisations ? Manque d’anticipation, lenteur des mécanismes de prise de décision, langue de bois sont autant d’obstacles à l’action.
Nous gesticulons pour ne pas agir, nous parlons pour ne pas dire… Que d’alibis !
Nous regrettons que de tels comportements minent l’action diplomatique, à tous les niveaux, y compris à notre niveau : la francophonie et certaines de ses arcanes.

Les discours politiques sont trop souvent destinés à donner l’apparence de la solidarité à un simple courant d’air…

La francophonie n’a pas à se substituer à la diplomatie, ni à l’action humanitaire, mais elle a un devoir d’alerte et d’information, de prise de position et de soutien. Palliant les carences de la diplomatie, l’action humanitaire, elle-même, a pâti, ces dernières années, d’un manque de cohérence et de continuité sur le long terme, cédant volontiers à la tentation de la médiatisation.
Résolument attachés aux « droits de l’homme », bien que conscients des impostures et des dérives politiciennes graves auquel ce concept a conduit ces dernières années, nous ne pouvons concevoir notre mission sans devoir d’humanité et de solidarité.
Nous nous devons en tant qu’acteurs de la famille francophone, par-delà nos spécificités et nos sensibilités, agir au plus vite, au plus près, chaque fois que nous le pouvons, en amont, pendant, en aval…

Peu importe l’envergure et le retentissement de l’action.
Mieux vaut sauver quelques vies humaines que prétendre vouloir les sauver, toutes, sans ne jamais rien faire.
Il n’est jamais trop tard pour agir lorsque l’humain est en proie à la douleur et à la souffrance.

Tel est notre credo à l’Alliance francophone que j’ai l’honneur de représenter ici.

C’est en ce sens que nous œuvrons !

Chaque année nos militants se mobilisent aux quatre coins du monde pour tenter d’aider des populations en détresse.
Je voudrais évoquer en particulier l’action remarquable de l’Alliance Francophone Espagne, présidée par mon amie Marie Dominique Blohorn à l’origine de ma présence à vos côtés ce soir !
Tous les ans l’Alliance Francophone Espagne, en collaboration avec les autorités espagnoles et la municipalité de Marbella, organise un prestigieux gala mobilisant des personnalités politiques locales, des membres de la famille royale et des figures du monde du spectacle international dont la finalité et la collecte de fonds destinés en particulier au financement d’orphelinats, ce centre de renutrition et de maisons pour autistes que nous parrainons depuis plus de 20 ans au Burkina Faso.
Au total notre association s’occupe de plus de 45 000 enfants à travers le monde, associant toujours solidarité et culture !
Une goutte d’eau certes, mais une de celles qui alimentent les rivières de la solidarité.
Comme Edgar Morin nous pensons qu’enseigner la compréhension entre les humains est la condition et le garant de la solidarité intellectuelle et morale de l’humanité.
L’Alliance francophone est également impliquée dans des opérations de soutien à l’alphabétisation et à la scolarisation dans des contrées reculées, démunies de moyens matériels. Elle affrète, chaque année, plus de dix tonnes de livres, de matériels scolaires en Afrique et en Asie.
Il s’agit pour l’essentiel de dons émanant de particuliers, de bibliothèques privées ou universitaires, et d’établissements hospitaliers.
La multiplication des situations de détresse nous a conduits à affiner nos actions, dans le sens d’une plus grande diversité et d’un meilleur équilibrage géographique.
Car la francophonie est vaste et le lien de solidarité francophone doit permettre de satisfaire l’ensemble des pays francophones, tous les citoyens francophones, sans n’en oublier aucun.
Très prochainement nous envisageons d’initier un projet humanitaire autour de la « Gastronomie francophone ». Il s’agirait d’organiser un concours récompensant le meilleur « cuisinier » francophone et de verser l’intégralité des recettes recueillies à une œuvre caritative.
Pour clore mon propos, je paraphraserai Stéphane Hessel : « La pire des attitudes est l’indifférence… En (nous) comportant ainsi, (nous) perdons l’une des composantes essentielles qui fait l’humain. Une des composantes indispensables : la faculté d’indignation et l’engagement qui en est la conséquence ».

A l’indifférence, opposons le courage et la générosité de notre différence.
Ensemble ne cédons pas. Je vous remercie.